Le futur sera RSE compatible, ou ne sera pas ! Face à l’urgence climatique, nombreuses sont les entreprises de l’ameublement à avoir pris conscience de leur impact sur l’environnement . Et depuis longtemps ! Mais la Responsabilité Sociétale de l’Entreprise ne se limite pas à ces questions. Enjeu sociétal et économique, la RSE devient une réelle opportunité de créativité pour de futurs business modèles. A commencer par les Équipementiers de l’Ameublement, moteurs dans cette démarche désormais indispensable. Réparabilité, réversibilité, rénovabilité… Comment la filière de l’ameublement s’est adaptée et continue de le faire face à ces enjeux ? Quel rôle occupent les Équipementiers dans ces transitions ? Laurence Roure, responsable du développement RSE de l’Ameublement Français, est témoin privilégiée de l’ébullition de la filière. Et nous dévoile les actions mises en œuvre et sa vision inspirante. Rencontre.
Comment peut-on définir la RSE appliquée à la filière de l’ameublement ?
Laurence Roure : La signification de ces trois lettres a beaucoup de sens pour notre filière. Derrière l’acronyme RSE, pour Responsabilité Sociétale des Entreprises, il y a nos 15 500 entreprises de fabrication de meubles qui pratiquent déjà cette responsabilité. Beaucoup d’actions sont en place, et qui relèvent bien souvent de ce que j’appellerai le « bon sens paysan ». Par exemple, mettre en place une chaudière biomasse qui crée de la chaleur à partir des chutes et des poussières de production. Il y a ce bon sens de nos entreprises, qui n’est pas formalisé. Pour elles, ce sont des actions naturelles. Et c’est tant mieux.
Mais la RSE, y compris dans l’ameublement, ce n’est pas que l’environnement…
Laurence Roure : Absolument. Si je prends le pilier sociétal, nos entreprises jouent un rôle clé. Elles créent des emplois dans des territoires, souvent ruraux. Aujourd’hui, la filière génère 60 000 emplois directs, et 112 000 au total. L’intégration par le travail est au cœur de la raison d’être des entreprises de l’ameublement. La filière fabrication d’ameublement se distingue par de nombreux points positifs : emploi des jeunes, durabilité, inclusion, égalité hommes/femmes… Par exemple, la filiere propose une très grande majorité de CDI, avec seulement 5% de contrats à durée déterminée (CDD), soit près de deux fois moins qu’au plan national (9%). Il y a la création d’emplois, mais aussi des impacts bénéfiques sur différentes infrastructures dans les territoires : écoles, des services publics… C’est ça l’impact sociétal de nos entreprises. De plus, les entreprises de l’ameublement sont aussi parmi les plus vertueuses en matière d’égalité salariale homme-femme : les femmes gagnent 9% de moins que les hommes – c’est toujours insuffisant, mais c’est là encore deux fois moins que la moyenne nationale, qui se situe à 17%. Et en matière d’inclusion, là encore, 25% des entreprises d’insertion revalorisent des meubles, et 5% de nos contrats sont d’apprentissage, contre 2% si l’on prend la France entière. Bref, la RSE impose de regarder l’ensemble du spectre.
Et c’est bien cette contribution volontaire des entreprises de l’ameublement qui doit répondre aux enjeux du développement durable, que ce soit en matière d’économie, en matière sociétale, ou sur l’environnement. Il faut avancer en équilibre sur l’ensemble des piliers . Nous devons être engagés, aussi bien dans nos activités que dans nos interactions avec les parties prenantes.
« Réduire l’impact carbone de notre filière avec méthode »
Pour autant, la route est encore longue. Comment l’Ameublement Français s’est-il lancé dans cette ambition forte autour de la RSE ?
Laurence Roure : Vous avez raison de rappeler que la route est longue, même si nous avons une certaine avance. Il faut rester humbles. Pour aller donc plus loin encore, nous avons débuté notre travail spécifique sur la RSE il y a deux ans, avec deux axes principaux : la filière, et les entreprises. Le premier, c’est donc celui de la filière. Comme toutes les industries, la filière de l’ameublement est confrontée à des impacts de carbone que nous souhaitons réduire. Nous avons donc commencé par une évaluation globale. Que ce soit en direct par l’impact de nos industries, en indirect à travers celui de nos fournisseurs, et enfin en impact induit à travers par exemple notre ancrage territorial et la richesse (salaires, impôts) que nous pouvons lui apporter. Pour cela, nous nous sommes fait accompagner par le cabinet EY en 2022, afin d’établir ce constat de départ.
La filière de l’ameublement, comme toute industrie, est émettrice de CO2. Pour l’année 2020, son empreinte carbone s’élève à 2,58 millions de tonnes, un impact limité du fait de ses caractéristiques particulièrement intéressantes sur le plan environnemental, telles que la durabilité des matériaux utilisés comme le bois ou la gestion performante de la fin de vie des meubles. Près de 70% de cette empreinte sont générés par le poste ‘’matières premières et approvisionnement’’. Et ce alors que l’empreinte environnementale d’un meuble fabriqué en France est au moins deux fois inférieure à celle d’un meuble fabriqué en Chine, qui est importé. En parallèle, nous avons en tête deux grandes dates. Celle de réduire de 55% nos gaz à effet de serre d’ici 2030 par rapport aux mesures de 1990, et celle de la neutralité carbone de notre filière pour 2050, conformément à l’Accord de Paris. Nous avons ensuite requalifié le calendrier, les objectifs et mis en place une feuille de route pour la filière.
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Dans cette ambition, quel rôle ont les entreprises du secteur ?
Laurence Roure : Elles jouent un rôle fondamental. C’est précisément le deuxième axe de notre réflexion. Les grands groupes, comme Schmidt par exemple, ont fait partie des plus aguerris sur la question de la RSE, avec des actions menées assez remarquables. Mais comme je l’ai dit, parmi nos 380 adhérents, nous avons beaucoup de TPE et PME. Globalement, chacune d’elles était consciente qu’il fallait agir, mais sans trop savoir comment s’y prendre. Il y avait un besoin de clarification sur ce qu’est la RSE, et comment la mettre en place concrètement au sein de son entreprise. C’est là que nous avons souhaité apporter une méthodologie et des outils très pragmatiques, adaptés aux professionnels. Nous avons donc mis en place un programme de formation et d’accompagnement pour aider nos entreprises à implémenter la RSE. Nous avons travaillé avec le cabinet RSM, pour obtenir cette boîte à outils et cet accompagnement personnalisé. Nous avons mis en place un pilote que nous avons testé sur cinq entreprises, deux TPE, deux PME, et une entreprise de taille intermédiaire (ETI). Les retours étant positifs, nous l’avons déployé cette année en 2023 pour 80 entreprises. Ce qui fait 25% de nos adhérents qui sont déjà embarqués dans l’aventure ! C’est extrêmement enthousiasmant !
« Un plateau de table abîmé réutilisé en assises de chaises »
Vous devez provoquer une véritable mutation de la filière, en embarquant toutes les entreprises…
Laurence Roure : C’est essentiel. Par exemple, la loi Agec, pour « Anti-gaspillage pour une économie circulaire », concerne l’ameublement comme de nombreuses industries. Les biens acquis annuellement par les services de l’Etat ainsi que par les collectivités territoriales et leurs groupements doivent être issus du réemploi ou de la réutilisation ou intègrent des matières recyclées dans des proportions de 20 % à 100 % selon le type de produit.
Pour faire simple, si j’ai un plateau de table un peu abîmé que je coupe en quatre, cela me fait quatre assises de chaises. C’est de la réutilisation. Et je n’ai pas mis sur le marché une ressource neuve. Nous devons accompagner nos entreprises sur cette économie circulaire. Dans ce contexte, un gros volet de notre programme consiste à aider au développement de l’écoconception, afin de faire durer les produits, avec un impact minimum sur la ressource.
Vous accompagnez déjà un quart de vos adhérents, l’objectif est d’être à 100% rapidement ?
Laurence Roure : L’idée, c’est surtout d’accompagner tous ceux qui veulent en être. Mais pour nous, tout le monde est concerné, quelle que soit la taille de l’entreprise. D’autant que réglementairement, il y aura des obligations. Les donneurs d’ordres ont des attentes et des exigences en matière de RSE lorsqu’ils passent des commandes. Les entreprises se doivent d’avoir des éléments de réponse, et des points de preuves, d’où la formalisation des actions.
« Les Équipementiers sont les moteurs de l’industrie de l’ameublement de demain »
Pour vous, quelle place occupent les Équipementiers de l’Ameublement français dans la démarche RSE de la filière ?
Laurence Roure : C’est peu dire que les Équipementiers jouent un rôle central en matière de RSE, car ils font partie de la chaîne de valeur. Ils sont dans la grande majorité de gros industriels à l’impact mondial, avec une forte force de frappe exemplaire. Quand on parle impact sociétal, environnemental ou économique, le groupement a une longueur d’avance. Les Équipementiers ont la capacité d’inventer de nouvelles opportunités et d’être les moteurs de l’industrie de l’ameublement de demain.
Être moteur de l’industrie de l’ameublement de demain dites-vous… Les Équipementiers le sont-ils déjà ?
Laurence Roure : Oui, les Équipementiers donnent en quelque sorte le « la » à la filière de l’ameublement en matière de RSE. En particulier sur l’économie de la fonctionnalité. J’entends par là, travailler des nouvelles offres économiques notamment sur les services liés aux usages des produits Les Équipementiers sont une source d’innovation inépuisable dans ce domaine. Ils savent trouver des solutions pour rendre escamotable un plan de cuisine mi-bois mi-marbre, pour devenir un bureau ou une table basse pour votre salon. Pareil quand il s’agit de proposer des luminaires qui deviennent chauffe-plats. Les Équipementiers sont au cœur de la modularité du mobilier en fonction des besoins. Ils font partie des nombreux cerveaux qui réfléchissent aux innovations qui permettent de changer de paradigme industriel, pour avoir le moins d’impact carbone possible. Cela a du sens de se dire que réparer une coulisse d’un meuble est plus vertueux que changer tout le meuble, ou toute la cuisine. La réflexion doit être collective, il y a des synergies à trouver entre tous les membres de la filière, dont les Équipementiers occupent cette place centrale.
« De nouveaux business modèles générés grâce à la RSE »
Plus largement, quelles sont les bonnes pratiques RSE qui doivent être prioritaires ?
Laurence Roure : Les exemples sont nombreux, mais la notion de réparation est une bonne entrée. Cela signifie allonger la durée de vie des produits. Depuis plus de dix ans, avec la REP ameublement, nous avons une filière qui s’est mise en ordre de bataille pour recycler. Et nous le faisons beaucoup, puisque 92% des déchets liés à l’ameublement sont revalorisés, dont 2/3 en recyclage matière et 1/3 en énergie. Aujourd’hui il faut aller plus loin dans l’économie circulaire, en allongeant la durée de vie des produits, de ce côté-là, il faut encore mettre en place une organisation adéquate. Plus concrètement, Coulidoor, qui est un fabricant de placards, a conçu une gamme de petit mobilier qui s’installe en bout de canapé développé en réutilisant ses chutes de production. C’est un excellent exemple d’optimisation d’une ressource donnée. Beaucoup de nos industriels réfléchissent à organiser ce type d’action, comment créer une boucle vertueuse d’économie circulaire. Le maximum de recyclage permet le minimum d’utilisation de ressource neuve et émettrice de CO2.
La RSE est-elle finalement une réelle opportunité pour la filière, moteur d’innovation, de création de nouveaux métiers ou de nouveaux services ?
Laurence Roure : Je suis convaincue. La RSE pousse à aller chercher de nouveaux business modèles, alors que la filière fabrication d’ameublement génère déjà 3,6 milliards d’euros de valeur ajoutée directe en 2021. Il faut faire un pas de côté pour proposer de nouveaux services. En mettant par exemple en place un service de réparation et un marché de la seconde main.
« Les Équipementiers, à l’avant-garde des innovations »
Vous avez des exemples ?
Laurence Roure : Prenez Fermob : leur métier est d’être fabricant de mobilier d’extérieur en métal, mais ils ont développé avec un partenaire tout un réseau pour repeindre leurs chaises et tables de jardin. Pour la transformation des business modèles, il faut élargir nos compétences pour s’ouvrir à de nouveaux métiers. La location est aussi une bonne piste à explorer… Nous accompagnons aussi les entreprises dans la détermination du juste prix de ces nouvelles activités. Quel est le prix unitaire de la rénovation d’un matelas par exemple, et quel est le gain pour le client ? Ce sont des questions qui ouvrent de nouvelles perspectives pour la filière.
La RSE semble être une réelle aventure enthousiasmante, est-ce le cas ?
Laurence Roure : Bien sûr, je crois que ça se ressent ! (rires) Dans un Momentum où l’on doit réindustrialiser le pays, je suis très enthousiaste d’avoir l’opportunité de contribuer à cette réflexion pour créer de nouveaux métiers et de nouveaux services. Le rôle de l’Ameublement français est de structurer l’ensemble de ces actions, et surtout le faire savoir, puisqu’il y a beaucoup de choses déjà en place. Et les Équipementiers peuvent être fiers d’être à l’avant-garde de ce beau mouvement !