Ils ont le vent en poupe ! Alors qu’on en comptabilisait quelques 360 en 2015, les espaces de coworking sont désormais près de dix fois plus – 3 000 – en France. Avec une progression exponentielle de 30% depuis 2019. Ainsi, ils pourraient représenter d’ici à quelques années 20% du stock de bureaux existants. Alternatives au télétravail, aménagements, nouveaux usages, et nouvelles ambiances : ces espaces permettent aux Équipementiers d’apporter leurs nombreux savoir-faire pour plus de fonctionnalité et modularité. Le projet Cohome, laboratoire de l’agencement, en est un parfait exemple. Pour découvrir le coworking, Jean-Charles Lambron, directeur général de Kinnarps France – spécialiste des solutions de décoration d’intérieur et du mobilier de bureau – nous ouvre les portes de cet espace singulier. Et effervescent !
Votre entreprise est présente depuis 35 ans en France. Quelle est son expertise dans l’univers du coworking ?
Jean-Charles Lambron : Cette expertise s’est développée au fil des années. Car le constat est clair : le coworking a pris beaucoup d’ampleur depuis le milieu des années 2010. Ce tiers-lieu est une solution qui sait répondre à un vrai besoin : celui qui consiste à rechercher des endroits dont on ne dispose pas au sein de son entreprise – comme des grandes salles de réunion où l’on se réunit finalement assez rarement – pour y amener un certain nombre d’activités intéressantes. C’est comme cela que ces espaces sont nés et dont le nombre a été multiplié par dix en moins de 10 ans.
« L’auto-entreprenariat a lancé la démocratisation de ce tiers-lieu »
Comment est-ce que cela se traduit chez Kinnarps ?
Jean-Charles Lambron : Au-delà de fournir du mobilier, nous recherchons des solutions avec nos clients par rapport à toutes les grandes tendances qui apparaissent sur le marché, certaines ayant été accélérées par la crise sanitaire, comme c’est le cas du coworking. Ce sont notamment les tendances autour du bien-être au travail, autour de l’occupation des différents espaces et du menu d’espaces. C’est-à-dire qu’en fonction du type d’activité d’une entreprise, nous allons déterminer le lieu le plus adapté. Nous allons ainsi retrouver un panel de lieux dans lequel il est possible d’exercer ses activités dans les meilleures conditions. Aujourd’hui, les bureaux sont beaucoup décloisonnés, mais dans un open-space, on ne peut pas tout faire ! Notre rôle est donc d’équiper et de réfléchir avec nos clients à la manière d’équiper les différents espaces, en particulier ceux de coworking.
Justement, à quand remonte l’apparition de ces lieux de coworking ?
Jean-Charles Lambron : Ils sont apparus dans le courant des années 2000. Mais à l’époque, le besoin était un peu différent. Il était lié à des indépendants qui n’avaient pas de lieux spécifiques pour travailler et qui cherchaient un endroit pour exercer leur activité. C’est la création du statut d’auto-entrepreneur en 2009 qui a véritablement déclenché la création de ces lieux. On a alors vu naître d’abord des bureaux partagés, mais des espaces encore très cloisonnés. Et petit à petit, les choses ont évolué. Ces indépendants avaient besoin de partager de l’information, des activités, de créer des clusters, des synergies. Il est devenu possible de se retrouver avec des activités complémentaires au sein de ces espaces bien identifiés. Et aujourd’hui, il y a près de 3000 espaces de coworking en France, et nous retrouvons de plus en plus de collaborateurs de grandes entreprises qui viennent pour une demi-journée, une journée ou une semaine.
« La proposition d’aménagement est beaucoup plus vaste qu’au début des années 2000 »
Et en termes d’aménagement, comment cet espace a évolué ?
Jean-Charles Lambron : Il y a eu une vraie révolution ! Et ce n’est pas fini… Au départ, ces lieux étaient un peu faits de bric et de broc. On avait tendance à créer une atmosphère avec du mobilier trouvé à droite à gauche par exemple. Mais les gens se retrouvaient dans cet univers. Le démarrage de l’histoire, c’est cette atmosphère chaleureuse liée à cet aspect un peu dépareillé. Puis petit à petit, il y a eu des prises de conscience : l’acoustique peut être améliorée, l’ergonomie n’est pas forcément présente, la technologie nécessaire non plus… Bref, durant toute cette période de maturation, nous avons vu réapparaître les codes du tertiaire : conservation de grands espaces collectifs, mais avec par exemple des fauteuils de bureau plus adaptés. Il y a ce besoin de travailler dans de bonnes conditions. L’équipement évolue en ce sens.
En fait, les espaces de coworking ont besoin de se différencier aujourd’hui…
Jean-Charles Lambron : C’est vrai. Il y a une atmosphère qui doit se dégager de chacun de ces espaces. Il faut avoir le sentiment de se retrouver un peu comme à la maison. Tout repose sur des points de détail, autour du mobilier ou encore de la signalétique. Nous avons le sentiment qu’il faut conserver cet esprit. Cela étant, il est aussi nécessaire de travailler sur des notions de confidentialité, de protection des données, quel que soit le lieu. Aujourd’hui, les collaborateurs qui fréquentent ces espaces ont besoin de tous les équipements en termes de sécurité et de confidentialité, comme ils pourraient l’avoir au sein même d’une entreprise.
« Etendre les gammes pour répondre à toutes les problématiques »
Après le covid et le développement du télétravail, en quoi ces lieux sont devenus particulièrement intéressants pour les grandes entreprises ?
Jean-Charles Lambron : Les collaborateurs n’ont pas forcément tous les équipements nécessaires chez eux. En plus de cela, ils ont besoin de rencontrer leurs collègues, leurs clients. C’est donc là qu’a eu lieu la grande révolution dans les espaces de coworking : proposer des lieux à ces salariés qui n’ont plus forcément de bureau attitré au siège social de leur entreprise, pour qu’ils aient la possibilité de collaborer. Des petits groupes de collaborateurs vont alors être créés pour qu’ils puissent se réunir et mener les activités qu’ils avaient l’habitude d’avoir au bureau. Proximité, agilité, ce sont deux maîtres-mots. Ainsi, des collaborateurs de différents endroits peuvent venir pour collaborer dans des espaces spécialement dédiés. Cela évite aux entreprises d’investir dans des mètres carrés immobiliers dont ils n’auront parfois besoin que très ponctuellement. Et ce public a alors besoin de visio, d’équipements informatiques de pointe, d’endroits pour se réunir. La proposition d’aménagement est donc aujourd’hui beaucoup plus vaste qu’au début des années 2000.
Quel est selon vous le rôle des acteurs de l’ameublement dans l’aménagement du coworking ?
Jean-Charles Lambron : Il est bien évidemment central. Dans les propositions que nous formulons, nous essayons de nous adapter aux usages que nous allons trouver dans les différents espaces. Il nous faut étendre nos gammes pour être capable de répondre à toutes les problématiques. Pour les tâches collaboratives ou créatives, nous proposons par exemple des équipements à hauteur 90 cm qui créent plus de dynamisme, qui permettent de se déplacer. Et pour les moments de partage d’information, de confidence, nous serons davantage sur des équipements à hauteur 45 ou 50 cm. En tant que fournisseurs de ces différents espaces, nous devons adapter notre proposition en analysant les différentes activités. Et ce sont les agenceurs et les équipementiers qui vont aider le lieu à être créatif, collaboratif, en créant l’atmosphère, en travaillant sur les couleurs, les matériaux et tous les équipements que l’on va y retrouver. L’objectif est que la promesse soit tenue.
« Modularité, ergonomie… Le coworking est un véritable laboratoire pour les Equipementiers »
Quelle place occupe l’innovation dans cet espace où les usages évoluent très vite ?
Jean-Charles Lambron : Le coworking est né d’une innovation, sa place est donc majeure. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’il y a toujours un cœur, un centre dans les espaces de coworking. Cela peut être la cuisine, la salle commune, mais aussi une multitude de petits espaces qui vont avoir la capacité d’évoluer dans le temps en fonction des usages. Ces multiples satellites qui gravitent autour d’un grand espace de réunion vont permettre de collaborer différemment, à deux, à quatre, à six, de manière très collaborative, ou individuellement, de manière très concentrée. C’est là que l’innovation est la plus forte. Et c’est le terrain de jeu des équipementiers, qui s’adaptent sans cesse.
Ces perpétuelles évolutions du coworking sont le reflet des mutations des besoins…
Jean-Charles Lambron : Bien sûr. Les besoins évoluent en permanence tant la diversité des publics, des profils, est grande. C’est un véritable laboratoire pour les équipementiers, qui restent paradoxalement assez mal connus des acteurs du coworking. Nous devons donc leur montrer notre savoir-faire et les inspirer pour aménager ces espaces. Et développer leur modularité et leur ergonomie, parce que la qualité de vie au travail passe aussi par là.
« Des tendances fortes en innovation »
Ici plus qu’ailleurs, l’équipementier est là pour observer les usages et trouver des solutions ?
Jean-Charles Lambron : Je le pense. Et il ne faut pas avoir peur de continuer à innover et à bien communiquer sur les innovations. Aujourd’hui, les acteurs du coworking identifient les besoins mais n’ont pas les solutions. C’est à nous, fournisseurs, de les leur apporter en nous adaptant à leurs besoins et à leurs usages. Par exemple, c’est comme cela que nous équipons de plus en plus les postes de travail avec de l’induction. L’usage que nous avons observé ? Les gens se déplacent tout le temps avec leur téléphone portable, mais sans jamais avoir le câble qui convient pour le recharger ou sans jamais avoir une prise disponible. Avec l’induction sur les postes de travail, il suffit de poser son téléphone pour le recharger automatiquement. Un besoin identifié, une solution mise en place petit à petit. De la même manière, dans ces espaces collectifs, il est nécessaire d’avoir du rangement. C’est pourquoi nous proposons de plus en plus de casiers pour ranger ses affaires personnelles. Et souvent, ce sont des casiers connectés !
Quelle tendance traverse aujourd’hui les espaces de coworking ?
Jean-Charles Lambron : Parmi les best sellers, les fameuses cabines téléphoniques sont de plus en plus présentes. Pourquoi ? Parce que les coworkings sont des espaces très ouverts et peu propices à la confidentialité. Ce sont des cabines insonorisées où l’on va pouvoir rapidement passer un coup de fil. Il suffit de fermer sa porte et l’on se retrouve dans un univers complètement clos. Plus besoin d’aller se mettre dans un couloir ou de sortir sur une terrasse ou dehors ! Au départ, il s’agissait de cabines pour une personne. Mais désormais, il en existe pour deux ou même quatre personnes. Nous avons fait évoluer le concept. C’est en observant les usages que des solutions innovantes ont pu être mises en œuvre.
« Ces lieux vont se spécialiser pour répondre aux nouveaux besoins »
A l’image du projet de coliving Cohome des Equipementiers, le coworking constitue-t-il un laboratoire d’expérimentation ?
Jean-Charles Lambron : Absolument. Ce projet est d’ailleurs passionnant tant il concentre les innovations. De plus, nous avions réalisé il y a quelques temps un espace de coworking test avec l’Ameublement français pour travailler sur les grandes innovations. Des tissus acoustiques avaient été intégrés : il était extrêmement intéressant de séparer les espaces et de les rendre fluides malgré tout, grâce à ces tissus acoustiques. Nous avions aussi travaillé sur l’impact fort que peut avoir une table de hauteur 90 cm sur la créativité, le partage. Et rencontrés de nombreux exploitants de salles prêts à équiper leurs lieux. Il y a vraiment la place d’expérimenter, de tester, et d’innover dans les espaces de coworking.
Pour finir, quelle est votre vision de l’avenir de ce marché du coworking ?
Jean-Charles Lambron : Ma conviction est que j’y crois dur comme fer ! Il y a une vraie tendance au développement de ce type d’espace, tout simplement parce qu’on va de plus en plus avoir besoin de tiers-lieux, des lieux qui ne sont pas des sièges sociaux, des entreprises ou des domiciles de salariés. Des besoins pour travailler une demi-journée, une journée, une semaine, pour une tâche bien précise, avec quelques collaborateurs. Et ce sont non seulement des lieux qui vont se développer, mais aussi des lieux qui vont se spécialiser, en mutualisant les équipements. C’est maintenant à nous d’être à l’écoute de ce qui se passe, de regarder comment les nouvelles générations appréhendent ces espaces, comment ils les détournent. En résumé, nous devons être capables de sortir de nos certitudes, pour imaginer les mobiliers et les équipements de demain !